Rina Lasnier, par consensus dirait-on, a été reléguée à l’ombre des grands aînés (Anne Hébert, Hector de Saint-Denys Garneau, Alain Grandbois), à qui elle a pourtant été associée. D’un côté, on a loué les qualités formelles de sa poésie, tantôt âpre, tantôt traversée par une sensualité diffuse; de l’autre, on l’a tenue pour suspecte en raison de son catholicisme affiché. S’est-on mépris en perpétuant une séparation aussi nette entre le discours spirituel et le poème?
Dans un ouvrage qui embrasse l’essentiel de cette œuvre poétique, Lucie Picard récuse cette vision antagoniste et invite à relire Lasnier à travers la trajectoire d’un sujet féminin où le corps, la maternité, la figure du poète et le divin sont auscultés selon deux approches complémentaires: le lyrisme, conçu comme «mise en forme affective d’un pâtir humain» selon l’expression de Antonio Rodriguez et la pragmatique du texte littéraire telle que définie par Dominique Maingueneau. Cette étude fouillée, qui multiplie les chassés-croisés entre les choix énonciatifs ou symboliques et leurs répercussions en regard du contexte socioculturel de son époque, suscite de nouveaux regards qui portent plus loin que les motifs habituels de l’adulation ou de l’occultation dont Lasnier a été jusqu’ici l’objet.