Le souvenir de Doug sur sa motocyclette, avec le chien Captain, lui a passé par la tête. Un souvenir imprégné de manque et de désespoir. Il a repris sa lecture: une chaloupe accostait au quai, le rameur tanguait vers le bar de la marina sans avoir pris le soin de nouer les amarres.
Il n’y avait qu’une lampe d’allumée, celle du vestibule, quand le retardataire est arrivé rue Saint-Denis. Tout le reste du logement était plongé dans la pénombre et le silence. À l’arrière, la chambre verrouillée de Victor Anonymat était farouchement gardée par le chat. L’interrogatoire attendrait le matin. Pareillement pour la révélation du diagnostic. Dans la salle d’attente de la clinique, une affiche pour la prévention, en forme de goutte de sang, rappelait: LE SIDA TUE. Nicolas aurait eu besoin d’une oreille, d’une épaule.
Il est allé s’enterrer sous sa peau de mouton en se demandant s’il franchirait le cap du nouveau millénaire. On en avait beaucoup discuté après la table ronde, au point que les littératures allosexuelles avaient reculé à l’arrière-plan. Le bogue, l’avenir de la démocratie… Quelques-uns avaient évoqué le manque d’amour, toujours aussi présent, peu importent nos connaissances et le progrès. Ils avaient raison. L’homme d’aujourd’hui souffre autant que l’homme des cavernes, et il en sera de même demain. L’évolution est un mythe. L’artiste serait-il seulement capable de trouver le sommeil? Il n’y avait qu’au pays des mensonges de Ragueneau qu’il faisait encore bon vivre.
(p.227)
« C’est […] une écriture “sortilège” proche de l’extase que revendique Nicolas Bourgault dont le dernier livre ne sera rien d’autre qu’un “monument” dédié à sa passion dévorante pour le beau sauvage. On pourrait en dire de même de l’écriture étonnante de Pierre Manseau dont l’œuvre méconnue, car trop souvent cataloguée dans le domaine de la littérature gaie, déploie ses propres “sortilèges”, ne cessant de confondre douleur et jouissance, laideur et beauté, pulsion de mort et pulsion de vie.
-Éric Paquin, Spirale