Dans la poésie québécoise des années 1970 et 1980, aucune œuvre ne semble à priori aussi différente que celles de Michel Beaulieu et Juan Garcia. Pourtant, toutes deux ont en commun une habitation du monde reposant sur l’expérience corporelle. Le corps, parce qu’il est vécu comme impossible à totaliser, constitue une source originale de connaissance pouvant ouvrir le sujet à un renouvellement existentiel. Ce rapport singulier au sens permet d’avancer que la quête du sens par le corps, chez Beaulieu comme chez Garcia, correspond à une quête moderne du sacré.
Afin de lire cette quête particulière, une critique d’accompagnement sera ici pratiquée. Ainsi la théorie — mot dérivé du grec theôros, qui traduit la position de celui qui observe — ne sera entendue que comme un moyen de mieux lire l’expérience sensible présentée dans ces deux œuvres poétiques. Cet ancrage théorique particulier exige d’avoir recours à différentes approches disciplinaires. Pour Beaulieu, la théorie anthropologique des déplacements du sacré dans la société moderne et le concept de liminarité, développé par Victor W. Turner à la suite d’Arnold Van Gennep, contribueront à déplier la quête de sens du sujet. En ce qui concerne Garcia, la lecture s’appuiera également sur l’anthropologie religieuse, mais aussi sur l’alchimie sotériologique, ce qui permettra d’établir indirectement un pont entre les études du phénomène mystique et l’astrophysique. En conséquence, l’enjeu de cet ouvrage consiste à trouver un seuil critique entre ces disciplines différentes, là où s’établirait ce que Merleau-Ponty nomme « une vérité dans la situation » : une (parmi d’autres il est vrai) écoute respectueuse des œuvres poétiques de Michel Beaulieu et de Juan Garcia.