Deux récits s’entrecroisent dans ce roman singulier: celui d’une enquête policière à propos d’un cadavre découvert dans l’incendie d’un centre équestre réputé, et celui du principal suspect, confiné à sa chambre d’hôpital où il est interrogé par des psychiatres peu orthodoxes. Vie familiale perturbée, passion amoureuse à sens unique, regard sarcastique sur les médias et la société… Autant d’ingrédients pour une intrigue à la tension soutenue, au dénouement étonnant.
[extrait 1]
Maudits sabots. Ils me martèlent le cerveau. Puis la scène d’un film me revient. C’est l’été, une plage sur le bord de la mer. Un homme enfoui dans le sable. Seule sa tête émerge comme un melon perdu. Un cheval fou arrive au grand galop et lui éclate le crâne sans même ralentir. Merde! Je me repasse dix, vingt, trente fois la même séquence.
[extrait 2]
— Espèce de sans-cœur!
— Ben, quoi?
— T’as même pas de peine!
— J’attends la fin de la phrase, dis-je d’un ton vaguement exaspéré.
— Marie-Jeanne est morte, crétin. Disparue en fumée. Une crêpe flambée.
Je n’ai pas prisé la manière, et le ton, et l’image outrageante. Une injure de trop. Je suis passé aux actes. Spontanément. Pour évacuer l’excès de rage qui bouillait dans mes veines. J’ai saisi Latendresse à la gorge. Sans avertissement. Mes deux mains formant étau. Gare à celui qui profane la mémoire de mon amour! Qu’il expie son dernier souffle!
J’ai tenu tout au plus une fraction de seconde. Latendresse, peu impressionné par l’attention que je lui portais, m’a appliqué un coup de genou dans les couilles. J’ai lâché prise et, par un réflexe millénaire, ai adopté la posture de l’humain recroquevillé autour de son ego ébranlé. Latendresse fulminait! Il m’a montré ses poings, énormes comme des souches de séquoia. J’étais hypnotisé par la peur. Incapable du moindre mouvement. C’était une diversion.
Le con m’a foutu un coup de tête. Deux boules de billard qui se percutent. Deux planètes qui entrent en collision. D’abord le choc bruyant des crânes, puis la douleur. Atroce! Juste avant de perdre conscience, j’ai eu une discussion fort colorée avec un papillon sur les stratégies de camouflage des insectes dans la jungle. J’aurais aimé apprendre tout cela quelques instants plus tôt. Pendant que je m’écroulais sur le plancher de la chambre, des milliers de papillons se sont relayés afin de filer autour de mon corps le plus gigantesque cocon de tous les temps.
(p. 59-60)