Des Chambres de bois (1958) à Un habit de lumière (1999), les héroïnes d’Anne Hébert s’adonnent à une rêverie qui leur permet de plonger dans une autre vie. Elles explorent une révolte dont l’articulation passe par de la fièvre et des hallucinations. On assiste alors à une désorganisation, autant physique que psychique, centrée sur l’exploration de l’agressivité extrême, des interdits érotiques (inceste, adultère) et de la mort. Une telle révolte expose les femmes à une fantasmagorie sensuelle et blasphématoire, où peut émerger l’être surnaturel – qu’il soit sorcière, diable ou vampire.
Le présent essai dégage les signes avant-coureurs de la désorganisation et des visions, au confluent de l’enfance sauvage et de l’allégorie. Il soutient que la représentation diabolique succédant à l’agitation fiévreuse est au service de l’émancipation et des impulsions du corps. Cette analyse de l’intrication métamorphose/désir s’appuie sur les idées de Georges Bataille, en particulier celles répondant à la volonté de révéler une existence souveraine, dégagée des servitudes qu’impose le quotidien. La lecture des récits d’Anne Hébert amène à poser la question suivante : en quoi les transports érotiques constituent-ils une forme d’émancipation susceptible de rencontrer, par-delà la fièvre et le délire, une possible réalisation de soi ?