Ce livre est un exercice de lecture, presque de style. Le jeu consiste, à la manière des critiques de la Révolution tranquille, à inventer (et donc à réinventer) une tradition littéraire. D’où son titre qui semble emprunté à la critique littéraire des années 1960, alors que le Québec semblait passer d’un âge à un autre, enfin sorti de la Grande Noirceur pour entrer dans son Âge d’or. Parler d’irréalité à propos de la littérature des années supposément sombres de 1860 à 1930 n’a donc rien de neuf ou d’étonnant. Depuis quelques décennies déjà, on juge cette littérature livresque et idéologique, grandiloquente et sentimentale, comme si elle exprimait les origines un peu névrotiques de la condition québécoise. Mais dans cette mythologie de la contrefaçon, inconsciente et ténébreuse, quelle place faire à des poètes comme Alfred Garneau, Eudore Évanturel, Albert Lozeau, Jean-Aubert Loranger ou encore Alfred DesRochers ? Voilà des écrivains qui n’ont rien d’irréalistes. Au contraire, ils passaient leur temps penchés sur la vie sensible, à détailler son intrication infinie, à méditer ses paysages, à s’y reconnaître et à s’y perdre. L’idée voulant que cette littérature d’un autre temps soit indifférente à la nature ou même impuissante devant ses forces inhospitalières ne tient plus la route, dès qu’on découvre cette écriture ouverte au monde comme il va, dans son intensité concrète et fuyante, sans l’idéaliser bêtement, sans en faire un support moral ou patriotique.
Et c’est ici que le titre prend un autre sens : l’âge de l’irréalité, c’est aussi l’âge où le monde devient fascinant pour lui-même, à cause de son irréalité justement, de sa présence improbable, qui le donne comme une chose étrange et belle.