On raconte beaucoup d'histoires au sujet du marquis de Sade. Certaines sont vraies, d'autres moins. Héritier de l'une des plus anciennes familles de Provence, il a passé vingt-sept ans en prison sous différents régimes politiques. Il a été aristocrate et révolutionnaire, capitaine de cavalerie et libertin coupable des excès de la noblesse. Il a tour à tour illustré la décadence d'une société où les seigneurs avaient tous les droits et joué au prisonnier persécuté, victime de l'arbitraire juridique. Il a aussi été écrivain: d'une part homme de lettres, auteur de tracts politiques et de quelques pièces de théâtre, d'autre part pornographe sulfureux, dont les romans obscènes sont à l'époque publiés de manière anonyme. Dans la littérature occidentale, son oeuvre incarne un paroxysme de violence et de cruauté. Certains reconnaissent en lui un philosophe, penseur d'un matérialisme radical; d'autres le voient comme un malade qui a fini, comme il se doit, enfermé chez les fous. Une chose est sûre: il est devenu le personnage d'une légende qui, depuis deux siècles, a fait couler beaucoup d'encre.
C'est la postérité de cette légende que le présent livre raconte. Car si l'oeuvre de Sade est proscrite pendant le XIXe siècle, elle est glorifiée de manière souterraine au tournant du siècle suivant, puis admirée de plus en plus ouvertement, jusqu'à ce qu'elle devienne l'une des références majeures de la critique française du XXe siècle. La postérité du scandale cherche à comprendre ce renversement, qui se met en place entre 1909 et 1939, et dont les principaux maîtres d'oeuvre sont Guillaume Apollinaire, André Breton, Paul Éluard, René Char, Maurice Heine, Georges Bataille et Pierre Klossowski. En somme, c'est la sanctification paradoxale de celui qu'on a appelé, pendant un temps, le «divin marquis», que cette histoire donne à lire.
Avec une préface de Jean-François Hamel.