La pensée hèle… appelle de loin, envoie la main en un vague salut, criant à l’aide, attendant quelque sauvetage, une forme terrestre de salvation. On l’a perdue de vue depuis longtemps : elle risque de perdre la vie pour plus de temps encore si on ne lui donne davantage de place dans notre histoire.
Nul besoin d’autopsier l’esprit du temps pour savoir que la pensée est le sérum de la vie commune et qu’elle nous manque atrocement depuis qu’on l’a remplacée par le placebo de l’opinion : l’agora ne vit plus, vivote, agonise… La littérature, après la disparition du mythe, du conte ou de la fable, serait-elle le survoltage de sens qu’il lui faut pour retrouver son souffle, le tonique dont elle a besoin pour reprendre ses forces, l’adrénaline mentale qui augmente en elle le degré de conscience nécessaire pour qu’elle connaisse une nouvelle vie ?
C’est l’hypothèse explorée dans cet essai : La littérature n’est pas le bouche à oreille de la rumeur générale issue du sens commun mais le bouche-à-bouche intime d’un secret partagé, dont relève le passage d’esprit à esprit qu’on appelle roman, essai, poésie. Ce n’est pas un sens ou une idée qu’elle nous transmet mais une force vitale qu’elle nous transfuse en une ventilation de la conscience, un halètement premier grâce auquel l’âme se dilate, se distend, s’étend au-delà d’elle-même et embrasse tout le champ du possible, non pas la seule actualité. Cet aérage est salvateur : il allège le fardeau que les faits bruts nous mettent sur le dos en en faisant passer le poids sur les ailes déployées large de la parole créatrice qu’on n’asservit plus à la seule représentation des états de choses mais consacre tout entière à la réanimation de notre monde et de notre humanité.