Lauréate du Prix des nouvelles voix de la littérature, Salon du livre de Trois-Rivières
Ce roman inspiré de La poétique de l’espace de Gaston Bachelard relate l’histoire de Flora, une trentenaire obèse torturée par la solitude. Lorsque sa grand-mère Alphonsine, la seule personne qui l’ait réellement – bien que maladroitement – aimée, est morte, Flora avait vingt et un ans et se trouvait en voyage au Maroc. Elle a toujours regretté de ne pas avoir accompagné sa grand-mère jusqu’au bout. Elle a décidé de travailler dans un centre pour personnes âgées, espérant se déculpabiliser. Cependant, quinze ans plus tard, elle n’a toujours pas fait le deuil de sa grand-mère. Elle décide donc de mettre en suspens son présent pour revivre des tranches de son passé. Pour ce faire, elle s’isole dans la maison d’Alphonsine pendant plusieurs mois. Commence alors un long et douloureux processus de remémoration. Flora relate ses souvenirs en s’adressant directement à sa grand-mère et en lui reprochant sa cruauté et son manque de tendresse. Au lieu de se libérer de son passé, elle réveille de vieux fantômes.
[extrait]
— T’as mis une belle p’tite robe!
J’avais enfilé ma plus belle toilette pour que tu cesses de me traiter de garçon manqué. Le côté de ton visage qui n’était pas paralysé s’est crispé dans un sourire tordu. Ta peau, ridée comme une terre labourée, semblait encore plus ravagée par le temps. Tu as laissé ton couteau sur le dessus du poêle, tu as essuyé tes mains sur ton tablier et tu t’es accroupie devant moi en effleurant, du bout de ton index courbé par l’arthrite, mon genou éraflé.
— Tu vas t’en remettre.
Tu t’es relevée en te plaignant d’un mal de dos.
— Grand-maman?
Tu t’es remise à ta besogne.
— Hum?
Je voulais te demander si je pouvais coucher dans ton lit. Je ne dormais pas bien, chez toi. Je faisais souvent des cauchemars… quand j’arrivais à trouver le sommeil, ce qui était rare et pénible. Mais j’avais honte. Et je savais que tu allais refuser.
— Non, rien.
Tu n’as pas insisté. J’ai tourné la tête vers la fenêtre. Le soleil estival qui s’infiltrait dans la cuisine me réchauffait. J’avais encore sommeil. Dehors, les herbes folles dansaient sous la brise. Le champ ondoyait et se gonflait comme une mer agitée. La structure de la maison ancestrale grommelait à sa manière. Elle pestait contre le vent qui la tourmentait. Elle était hargneuse, ta maison. Un peu comme toi. Je me suis étirée en gémissant et je suis sortie.