La concession

Ory, Marc, La concession, Éditions Triptyque, Fonds (fiction), 2011, 202 p.
Prix : 
20 $
ISBN : 
978-2-89031-723-9

Double récit entrecroisé, ici, celui, à peine projeté dans l’avenir, de l’occupation de la France en 2030 par les Chinois avec l’établissement d’une enclave dans la capitale, et cet autre, raconté par une grand-mère, de l’occupation de Shangaï par les Français en 1926. Inutile, alors, de rappeler le scénario des nazis de mauvaise mémoire, avec ses coopérants et ses résistants ou encore le passé colonisateur de la France, l’Histoire poursuivant son bégaiement incorrigible. Des histoires d’amour et d’amitié (coupables) se faufilent au travers des tensions sociales et politiques exacerbées, des résistances s’organisent, des complots se trament.

 

Marc Ory tresse tout cela avec un art remarquable de la narration, campant des personnages complexes, tantôt fragiles, tantôt déterminés, qui nous restent longtemps en tête après la lecture.

 

[extrait]

Il y avait les veules, les vendus, les achetés. Yu s’étonnait qu’il y en eût autant. La France avait de l’expérience en la matière. Il se la rappelait. Il l’avait lue dans les livres d’histoire. Il se souvenait d’une rafle de juifs dans un stade ou un vélodrome. Une vieille maquerelle dont le rimmel coulait ou une marquise décrépite, imbue d’elle-même, se raccrochant aux monuments délabrés de ses souvenirs embellis, voilà ce qu’était devenu ce pays dont les lustres l’avaient si longtemps fasciné. Du glorieux passé, rien de vivant ne subsistait. Dans des rivières lointaines, seuls les saumons remontaient, pour mourir. Le regard de Yu Chi Ming se perdait dans ce liquide hypnotisant, les larmes de Paris, pensa-t-il un instant. Il entendit la radio. Il avait sélectionné une émission de France Inter. Que ces journalistes avaient du talent ! Même en cette période de censure, ils restaient virtuoses, parlant avec l’élégance et la précision de dentellières. Voilà ce qu’étaient devenus les intellectuels, des dentellières ou des trapézistes, tournoyant, donnant le vertige, oubliant parfois les mains offertes d’un camarade qui s’écrasait avec fracas. Du beau travail, divertissant, brillant, vain. Yu faisait une cible magnifique. De la rive droite, un tireur habile ne pouvait le manquer. Il se moquait de prendre ainsi ce risque. Il sentait en lui l’exaltation du plongeur qui rebondit sur la planche, les bras tendus, bien haut, regardant la minuscule tache bleue de la piscine, si bas.