La première visée de cet essai consiste à affirmer, à réaffirmer, selon le « oui, oui » de Nietzsche, la force de l’œuvre philosophique de Jacques Derrida, sans conteste l’une des plus importantes du XXe siècle. Non seulement cette œuvre traverse-t-elle un demi-siècle d’histoire, mais elle poursuit toujours une double tâche, recueillant l’héritage de la tradition philosophique tout en le déplaçant pour y frayer l’ouverture d’un espacement, d’un questionnement neuf que Derrida aura désigné sous le terme, lui-même impossible à stabiliser, de « déconstruction ». Plus qu’aucune autre peut-être, cette œuvre philosophique s’est résolument engagée dès ses commencements dans une relecture minutieuse de tous les grands textes, canoniques ou non, de la tradition philosophique et de la littérature, mais elle ne s’est pas contentée de cette relecture, aussi radicale fût-elle : elle a toujours voulu tenter un saut, « un pas au-delà », contresigner de la manière la plus forte et la plus audacieuse, pour l’avenir chacune de ces œuvres qu’elle lisait – d’où son invention, la création de scènes d’écriture et de dispositifs textuels inédits, et la puissance poétique d’une écriture toujours attentive au ton, au rythme, à la voix et aux gestes du corps. Avec Derrida, c’est non seulement l’histoire de la pensée, les concepts, la réflexion spéculative qui sont radicalement revisités, mais aussi la langue et l’écriture, lieux privilégiés d’une expérimentation affectant tous les registres de la pensée : philosophique, politique, religieux, éthique, esthétique, littéraire.
Le politique, la guerre, la traduction, le poème, l'art, l'animal, l'archive: ces sept études suivent les lignées – lignes de force ou d'effraction – de l'oeuvre de Derrida, en cherchant chaque fois à s'approcher du point le plus fécond et aigu de sa pensée.