Esprits malins dans le folklore anglais, les feux follets – Jack-O’-Lantern ou willowisp – ont la réputation d’entraîner les voyageurs au fond des forêts ou au bord des falaises, avant de souffler leur lanterne et de les précipiter dans un ravin. Je n’ai jamais écrit, je n’ai jamais lu autrement que sous le patronage littéraire de ces lueurs qui font semblant de nous guider pour mieux nous perdre. Tous les essais ici rassemblés ont d’abord été écrits dans le but de conjurer un égarement premier devant une question insoluble ou une œuvre trop vaste pour que je puisse la surplomber. Et si j’ai longtemps cru que je les commençais pour mieux me retrouver, mieux me percevoir ou mieux me situer, j’ai maintenant la nette impression du contraire : il n’est jamais question, en eux, que de cheminer jusqu’au moment où, la lampe soudain soufflée, on dégringole jusqu’aux modestes précipices de la pensée où rien n’est vraiment connu, rien n’est vraiment compris, rien n’est tout à fait éclairé par les noms dont on use et qui s’aventurent dans l’ombre.
J.-F. B.