Que la voix en souffrance d'un corps hante en profondeur le roman, le cinéma et la réflexion théorique depuis les années 1980, voilà ce que propose d’illustrer ce recueil d’essais où résonnent toutes sortes de voix sevrées de leur source, depuis des voix d’outre-tombe jusqu’à des voix mécaniques ou ventriloquées, en passant par des voix off laissées à la dérive de l’écran filmique. L’ouvrage propose ainsi un parcours d’œuvres dans lesquelles des voix insaisissables ne servent plus ou pas seulement de véhicule — de la communication, du sens, du récit —, mais constituent un objet de réflexion en soi, à part entière.
Si la voix désincarnée, omniprésente en cette époque d’hypercommunication, n’est plus capable comme avant de nous émerveiller (et encore n’est-ce pas si sûr), elle n’en continue pas moins de nous étonner, de nous angoisser et de nous amuser. De nous faire rêver, aussi, intensément : d’où la quête d’expériences inéprouvées dont ces œuvres peuplées de voix orphelines nous font faire néanmoins l’épreuve ; d’où aussi le renouvellement des formes et de paris narratifs toujours plus audacieux qu’inventent les romanciers et les cinéastes en vue de réactiver le pouvoir enchanteur de cette figure. Plus qu’une simple métaphore obsédante qui sature l’imaginaire populaire, elle constitue à n’en pas douter un formidable moteur de la pensée et de la création contemporaines, une sorte de laboratoire où s’élabore avec une acuité exemplaire une interrogation sur le rapport à soi, à autrui et à la langue : c’est tout le rapport au monde qui s’y trouve engagé.