Parmi les genres dits mineurs, le roman policier est sans doute celui qui a le plus intrigué. On retrouve en effet sur ses traces nombre de théoriciens de la littérature, comme du reste, de Butor à Eco, nombre d’écrivains dits légitimes. Tous interrogent sans relâche les fondements et enjeux de cette forme dont la vitalité ne se dément pas malgré ses contraintes, comme si, depuis plus d’un siècle et demi, elle tendait à son temps un miroir aux reflets changeants mais toujours révélateurs, à l’image d’un nécessaire aveu.
C’est cette enquête qu’on reprend ici, à la recherche des savoirs du roman policier, mais c’est une autre piste qu’on veut suivre. Il va s’agir de prendre ce genre ludique au sérieux, et d’en faire le lieu d’un procès que le second XXe siècle et le XXIe siècle ont entrepris : celui de la compréhension de l’action d’autrui. Car telle est l’hypothèse qui guide ces pages : s’il est une question que le roman policier pose avec insistance, c’est bien celle des moyens dont disposent ceux qui viennent après-coup pour parvenir à donner sens à un acte dont il ne reste que des traces éparses.
Avec Thomas Kuhn, Ludwig Wittgenstein et Paul Ricoeur comme enquêteurs, Caleb Carr et Tony Hillerman comme principaux suspects (ou victimes ?) et la pragmatique en guise de science de détection, cet ouvrage se propose de lire le roman policier comme une véritable fable sur l’action, sur notre désir de comprendre les gestes d’un autre qui n’a cessé de s’opacifier depuis le début du XXe siècle, sur la part d’ombre et les périls, aussi, qui nous guettent dans cette entreprise.