Maître Thomas Aubert a-t-il existé ? Et vous, existez-vous ? Et qui s’en soucie, de toute façon ? Et cela a-t-il une quelconque importance, je vous le demande ? Mais puisqu’il faut jouer le jeu, allons-y sans nous enfarger dans les fleurs de la vraisemblance. Laissez-moi faire mes petites entourloupes sans broncher. Tschhht! Tschhht! Je sais, je sais, ça ne tient pas debout, mais je vais quand même déguiser ce marin quasi inconnu, maître ès inexistence, en une figure ancestrale du Québec, rien de moins. Vous trouvez tout ceci exagéré ? Ça l’est. C’est même grotesque, mais, croyez-moi, le spectre en vaut la peine. C’est un spécimen de choix. Il serait venu avant Jacques Cartier longer les côtes de nos arpents de neige pour nous léguer son visage évanescent, sa tendance à ne pas tout à fait être là, à rester en sursis des siècles durant. Tapi dans l’ombre de l’Amérique, sans trop de bruit, il s’excuse presque de survivre dans nos mémoires, au cœur des limbes, toujours au seuil de notre monde, qui s’agite un moment avant de s’évanouir dans l’absence de temps. Thomas Aubert, saint patron du Québec, cœur secret de l’Amérique, haute statue absente de toutes nos églises et de nos histoires, portrait sculpté à même notre présence fantôme, mais aussi sur la pierre, à Dieppe même, où l’on fait semblant qu’il a existé, alors que l’on n’en sait strictement rien.
En couverture : © Odilon Redon
Disponible dans toutes les bonnes librairies indépendantes près de chez vous le 22 mars 2023