L'amour, à peu près

Brand, Dionne, L'amour, à peu près, Éditions Triptyque, Fictions, 2017, 220 p.
Prix : 
24,95 $
ISBN : 
978-2-89741-967-7
« Si on remarquait chaque petit geste de quelqu’un et qu’on observait ces gestes pendant un an et demi, disons, et qu’ensuite on perdait cette personne, on devrait pouvoir la retrouver. Comme de répertorier une séquence du génome, mais celui des gestes. On devrait ainsi pouvoir trouver cette personne. On devrait.
Lia voit Jasmeet partout. Elle repère ses chromosomes sous la forme d’éclats, de brouillons. Le bras de Jasmeet. Le voilà dans le bras d’une femme plus âgée, le poignet surtout. Le pied gauche de Jasmeet, ici, dans le pied d’un homme reposant sur le béton d’une boîte à fleurs sur University Avenue. Les sourcils de Jasmeet, là, dans les sourcils épilés d’une serveuse au bar Renaissance. Les gens disparaissent tout le temps, mais Lia est certaine que Jasmeet est revenue et ne veut simplement pas être trouvée. C’est juste que Lia ne peut réunir toutes les observations génétiques éparses dans un seul corps solide. C’est tout. »
 
Deux jours d’été à Toronto. Le problème : arriver au bon dosage d’amour. Les protagonistes : June, une militante de gauche qui s’est peut-être rangée ; Bedri, un jeune voleur de voitures qui ne sait quoi faire des formules éducatives de son père ; Lia, une adolescente murie prématurément dans l’ombre d’une mère excessive.  
 
Alors qu’au fil du roman les liens entre ces trois personnages se découvrent peu à peu, alors que leurs amours, leurs familles et leurs voisins se dessinent toujours plus nettement, leur cartographie personnelle de la ville se détaille avec ses zones d’ombre, ses paradis perdus, ses parcours obligés. Dionne Brand les croque toujours au carrefour, au moment de traverser ou de se replier : chaque chapitre s’écrit au plus près des pensées et des sensations d’un personnage au plus près de la catastrophe dans l’équilibre de son être. Le chœur de tels mondes vécus brouille la frontière entre extérieur et intérieur, fait place égale au cœur et à la raison, au discours et au corps. 
 
L’amour, à peu près est un roman d’une grande finesse, qui met à l’épreuve tout le vocabulaire éculé avec lequel on parle des métropoles contemporaines. Cosmopolites ou immigrants? Homosexuels, familles d’accueil, délinquants? Des catégories sociales qui fondent sous le soleil, qui se confondent sous les lunes du roman de Brand. C’est bien plutôt la capacité à s’attacher, à imaginer, à aimer qui fait toute la singularité de ceux et celles que Dionne Brand donne à entendre.